Quand les LGBTQIA+ sont-i·els devenu·es « malades » ?
Quand les LGBTQIA+ sont-i·els devenu·es « malades » ?
L’histoire des personnes LGBTQIA+ est faite de périodes de grande tolérance et d’inclusion dans les mœurs et la société, mais également d’autres époques beaucoup plus hostiles.
La pathologisation et l’invention de différents concepts, au XIXe siècle, va accentuer l’exclusion, les pratiques de conversion et la condamnation des orientations et identités LGBTQIA+. La vision « malade » des personnes LGBTQIA+ est donc très récente dans l’Histoire de l’humanité et nous luttons encore aujourd’hui contre cette perception.
Si le rejet des personnes LGBTQIA+ passait davantage par des normes religieuses ou morales, avec de grandes disparités en fonction des régions du monde et des époques, il devient une question de santé, une question pathologique, notamment avec l’émergence de la psychiatrie, à partir du XIXe siècle, en Europe, et par extension dans le reste du monde.
Un exemple très parlant est celui du psychiatre austro-hongrois Richard von Krafft-Ebing, considéré comme l’un des fondateurs de la sexologie. Il publie en 1886 la première édition de son « best seller » Psychopathia sexualis dans lequel il classe ce qu’il considère comme des pathologies sexuelles en quatre catégories :
- La Paradoxie (libido intempestive chez le jeune enfant ou la personne âgée)
- L’Anesthésie (absence de libido) → pourrait correspondre à la définition actuelle des personnes « asexuelles »
- L’Hyperesthésie (libido exacerbée)
- La Paresthésie (libido dévoyée), qu’il appelle également « perversion de l’instinct sexuel ». C’est dans cette catégorie qu’est décrite l’homosexualité et c’est l’une des premières fois qu’un ouvrage utilise ce terme, inventé une vingtaine d’années auparavant.
Le travail de Krafft-Ebing s’inscrit d’une manière générale dans les très prolixes théories de la dégénérescence et du darwinisme social qui considèrent que « les fléaux de l’humanité » comme l’alcoolisme, la prostitution, la toxicomanie ou l’homosexualité sont des maladies mentales héréditaires.
Ce traité de psychiatrie destiné aux médecins, aux experts judiciaires et aux juristes devint rapidement un énorme succès mondial. Traduit dans de nombreuses langues, il n’a jamais cessé d’être réédité. De nombreux néologismes qui y figurent comme ceux de masochisme ou de sadisme se sont maintenus dans notre vocabulaire actuel et le terme d’homosexualité singulièrement popularisé par cet ouvrage. Le travail de Krafft-Ebing s’inscrit d’une manière générale dans les très prolixes théories de la dégénérescence et du darwinisme social qui considèrent que « les fléaux de l’humanité » comme l’alcoolisme, la prostitution, la toxicomanie ou l’homosexualité sont des maladies mentales héréditaires. Cela inspirera jusqu’à l’Amendement Mirguet, en France, qui aura cours de 1960 à 1980 et qui présentait les personnes LGBTQIA+ comme un « fléau ».
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Il s’inspire également de la théorie du déclin civilisationnel de l’époque, qui est par ailleurs régulièrement remise au goût du jour au XXIe siècle, par exemple avec la notion de grand remplacement.
L’Europe du XIXe puis du XXe siècle est alors en proie à une sorte de panique morale notamment dûe à la baisse de la démographie et au mélange de plus en plus important des « classes » et des « races », particulièrement de par l’expansion coloniale européenne.
Cette vision du monde sera véhiculée par une abondance de littérature scientifique, aujourd’hui largement démentie, qui nourrira des théories dévastatrices comme le racialisme et l’eugénisme ou la doctrine du nazisme. Ainsi, le IIIe Reich considérait qu’il fallait éliminer les homosexuel·les pour « purifier » la nation de ces personnes déséquilibrées, l’Italie fasciste préférait isoler les populations homosexuelles et bisexuelles sur des îles pour éviter qu’elles ne contaminent le reste de la société, d’autres pays comme le Royaume-Uni les emprisonnaient, comme le célèbre cas d’Oscar Wilde (au XIXe siècle), ou leur imposaient des castrations chimiques, comme ce fut le cas pour Alan Turing.
“Le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce”(2)
L’Europe du XIXe siècle inscrit donc l’homosexualité et la bisexualité comme des déviances sexuelles, des problèmes mentaux, une conception qu’elle diffusera également jusque dans ses territoires coloniaux. En 1914, les pays européens détenaient environ 85% du territoire mondial sous différentes formes d’administration. Cette conception poussera l’Occident soit à légiférer pour interdire l’existence des pratiques LGBTQIA+, soit à traiter médicalement et psychiatriquement ces publics. Comme l’écrira Michel Foucault dans son histoire de la sexualité, « le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce » (2).
Cette vision des personnes LGBTQIA+ se perpétuera avec force jusqu’au milieu du XXe siècle. Certaines pratiques de conversion particulièrement violentes avaient encore lieu régulièrement aux Etats-Unis jusque dans les années 1970, comme les « thérapies par aversion » , pour lesquelles il s’agissait notamment d’envoyer des électrochocs aux personnes homosexuelles qui réagissaient positivement à des stimulis sexuels comme des images érotiques homosexuelles. Les pratiques de conversion sont par ailleurs toujours légales dans la majeure partie du monde.
(Un relaps est un catholique retombé dans ce que l’Église catholique considère comme une hérésie alors qu’il y avait solennellement renoncé).
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Avec l’évolution des mentalités, notamment grâce à l’apparition de différents mouvements et figures d’activistes LGBTQIA+, cette perception commencera à s’estomper. Il faudra cependant attendre 1973 pour que le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders), manuel de psychiatrie américain faisant loi dans le monde, retire l’homosexualité des pathologies mentales. Il y ajoutera à la même époque le « transexualisme » , qui sera ensuite renommé « dysphorie de genre » en 2013 non plus considéré comme un « trouble de l’identité sexuelle » mais comme une « incongruence de genre ».
L’épidémie de VIH dès les années 1980, et ses conséquences catastrophiques, particulièrement sur les hommes homosexuels et bisexuels et les personnes trans*, les associera à nouveau à des « malades ».
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L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) retirera l’homosexualité et la bisexualité des troubles mentaux en 1990, et ce sera seulement le cas en 2018 pour les transidentités, tout en entretenant toujours dans leur références de larges confusions entre sexualité et identités de genre.
En 2012, l’OMS déclarera enfin que la pratique des « thérapies de conversion » menace la santé et les droits des personnes concernées.
Les conséquences de cette pathologisation font qu’en 2023, les personnes transgenres, en Belgique, comme dans la majorité des pays du monde, doivent avoir recours à une psychiatrisation si elles souhaitent entamer une transition physique dans les « équipes de genre » officielles. On retrouvait aussi jusqu’en 2017 des restes des théories de l’hérédité-dégénérescence avec l’obligation faites aux personnes trans* en Belgique de se stériliser, donc de ne plus « pouvoir se reproduire », si elles souhaitaient modifier le marqueur de genre sur leurs documents d’identités.
Le regard que la société a porté ou porte encore sur ell·eux est marqué par le « problème sanitaire » que certains théoriciens ont voulu faire d’ell·eux.
Le rapport actuel des personnes LGBTQIA+ à leur propre corps, à leur propre identité, à leur propres pratiques sexuelles ou romantiques et à leur propre santé est indissociable du traitement qui leur a été réservé depuis plusieurs siècles et singulièrement depuis le XIXe siècle. Le regard que la société a porté ou porte encore sur ell·eux est marqué par le « problème sanitaire » que certains théoriciens ont voulu faire d’ell·eux.
Quand les LGBTQIA+ sont-i·els devenu·es « malades » ?
De la diabolisation à la pathologisation : un héritage qui impacte encore aujourd’hui la santé LGBTQIA+.
Sources
- Von Krafft-Ebing, 1886, Psychopathia sexualis.
- Foucault Michel, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Tel Gallimard, 1976, p. 59.