Éloigné·es du centre, éloigné·es des soins ?

Éloigné·es du centre, éloigné·es des soins ?

Dans le champ des sciences sociales, la notion de marginalité était d’abord illustrée par la figure du « vagabond », des personnes vivant dans une grande précarité, marginalisées des centres urbains et exclues de la communauté, notamment dans les cités médiévales.

Cette figure très négative relevait une « inadaptation », parfois intrinsèque, de certaines franges de la société mais n’envisageait pas cette réalité de manière systémique. Les études sur ce concept se sont ensuite affinées en développant le fait que les individus marginaux transgressent les normes dominantes. Dans les années 70, la marginalité a perdu son aspect moral associé aux notions de déviance pour analyser davantage le processus d’exclusion qui pousse des citoyen·nes vers les marges, c’est-à-dire les phénomènes de marginalisation ou encore de désaffiliation en lien avec l’étude des rapports de domination. Les systèmes de soin connaissent malheureusement aussi ce phénomène de désaffiliation.

La théorie « des marges et du centre » considère que le centre est composé des personnes qui dominent la société, en termes de définitions de la norme, de pouvoir, notamment économique, et de culture. A contrario, les « marges » sont composées de personnes minoritaires en termes de pouvoir qui échappent à la norme majoritaire, ne participent donc pas aux définitions de cette norme et ne sont souvent pas considérées comme jouissant de la même valeur morale et de la même crédibilité sociale.

La spécificité du centre est qu’il connaît peu et s’intéresse peu aux marges, non seulement parce qu’il est autosuffisant mais aussi parce qu’il estime que les marges sont au mieux des curiosités presque folkloriques, au pire le lieu d’un communautarisme dangereux et méprisable.

La spécificité des marges (du latin « bordure » ou « frontière ») est au contraire qu’elles connaissent très bien le centre puisqu’elles vivent sous ses décisions et expressions, notamment culturelles, et qu’elles peuvent être tolérées dans le centre si elles épousent ses normes, souvent en s’aliénant (du latin « étranger ») de leur propre vécu.

Bien que cette théorie ait ses limites, d’autant plus au niveau individuel, elle permet de poser un nouveau regard sur la marginalisation de certains groupes qui composent nos sociétés.

On peut noter par exemple De la marge au centre : Théorie féministe de l’autrice américaine Bell Hooks, publié en 1984, qui applique cette vision aux femmes racisées dans les mouvements féministes (1).

Ainsi, les personnes racisées défavorablement dans un pays comme la Belgique, se retrouvent souvent dans les marges : elles connaissent très bien l’expression de la culture dominante véhiculée par la majorité « blanche », c’est-à-dire racisée favorablement (comme par exemple les standards physiques de beauté) mais à l’inverse, les personnes blanches d’origine belge seront régulièrement peu informées à propos des cultures d’origine (par exemple, les langues parlées dans les foyers de certain·es concitoyen·nes), des croyances religieuses ou philosophiques et des vécus quotidiens d’une partie de la population racisée défavorablement, comme le fait d’être refusé à un emploi ou un logement de par sa couleur de peau. Cette théorie peut également s’appliquer aux personnes en situation de handicap, incomprises par une grande partie du centre et pour qui la société, par exemple pour ce qui concerne les aménagements du territoire, est loin d’être adaptée, donc excluante.

Les LGBTQIA+ peuvent difficilement se passer de fréquenter le centre. À l’inverse, beaucoup de personnes non-LGBTQIA+ peuvent s’abstenir assez facilement de fréquenter les marges LGBTQIA+ et sont encore peu informées sur ces publics, en témoignent parfois les questions indiscrètes et les pseudo-théories extravagantes auxquelles les LGBTQIA+ sont confronté·es à leur propre sujet.

Les personnes LGBTQIA+ connaissent bien l’hétérosexualité, la normativité du couple, la cisidentité et le fait d’être dyadiques puisque la majorité des décisions politiques, des expressions culturelles, des interactions quotidiennes dans les espaces de pouvoir concernent des personnes hétérosexuelles, cisgenres et dyadiques. Les LGBTQIA+ peuvent difficilement se passer de fréquenter le centre. À l’inverse, beaucoup de personnes non-LGBTQIA+ peuvent s’abstenir assez facilement de fréquenter les marges LGBTQIA+ et sont encore peu informées sur ces publics, en témoignent parfois les questions indiscrètes et les pseudo-théories extravagantes auxquelles les LGBTQIA+ sont confronté·es à leur propre sujet. On pourra prendre l’exemple de la focalisation sur la génitalité des personnes trans, des « qui fait l’homme, qui fait la femme? » ou de l’ignorance de l’existence des intersexuations, entre autres joyeusetés.

Dans un autre registre, la discrimination, le rejet ou la simple absence d’inclusion ont tendance à pousser les individus dans des chemins de vie alternatifs qui peuvent notamment se traduire par un accès difficiles aux biens et services, en termes de santé également. Dans de nombreuses régions du monde, ne fut-ce qu’au niveau du droit, les LGBTQIA+ sont même poussés à la clandestinité.

Se priver en partie de l’apport culturel et social des marges est une grande perte pour les sociétés. Une démarche inclusive, comme celle de soins de santés inclusifs, permet de résorber ce manque, de traiter chacun·e avec justice et équité et d’éviter les mécanismes de marginalisation qui sont préjudiciables à de multiples niveaux.

Après tout, ne dit-on pas qu’on reconnait la qualité d’une démocratie à sa capacité de prendre en compte et de respecter ses groupes minoritaires ?

Éloigné·es du centre, éloigné·es des soins ?

La théorie « des marges et du centre » permet de comprendre la position toujours « hors norme » des personnes LGBTQIA+.

Sources

  1. Bell Hooks (1984) Feminist Theory: From Margin to Center
  2. Marge, marginalité, marginalisation (Geo confluences, 2022)
  3. La marginalisation : définition, exemples et caractéristiques du phénomène (Jonathan Day, 2022)
    https://www.liberties.eu/fr/stories/marginalize/44083
  4. La marginalisation : ses formes, ses causes et les stratégies pour y faire face (LibertiesEU, 2021)
    https://www.liberties.eu/fr/stories/marginalization-and-being-marginalized/[…]
  5. Les marges au centre de la lutte
    https://fr.ulule.com/les-marges-au-centre-de-la-lutte/

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